Se réapproprier la parole & reprendre le pouvoir : rencontre avec Hoodstock

Par Camille Buffet

À la fin de l’été, l’équipe du Mag s’est rendu à la place de l’Espoir du parc Henri-Bourassa à Montréal-Nord, un espace inauguré en 2018, soit dix ans après la mort du jeune Fredy Villanueva sous les balles d’un policier. C’est sur cette place que nous rencontrons Nargess, Nancy et Cassandre, toutes les trois engagées à Hoodstock, un organisme qui œuvre pour la justice sociale et pour l’élimination des inégalités systémiques à Montréal-Nord. Ensemble, elles nous offrent un tour d’horizon de Hoodstock et de ses activités. Il est sûr qu’on trouve ici des réponses à la question « comment se donner la parole ? » !

  1. Pouvez-vous nous expliquer la mission et les valeurs de Hoodstock ? Dans quel contexte l’organisme a-t-il été créé ?

Nargess : Je vais partir de mon expérience personnelle pour tracer la narrative. Je suis résidente de Montréal-Nord et j’ai grandi ici. Le 9 août 2008, j’ai reçu un appel d’une amie qui m’a dit qu’il y avait une grosse révolte dans le quartier, qu’un jeune s’était fait tuer par la police, qu’une intervention avait mal tournée.

Quand la mort de Fredy a eu lieu, ça a été pour moi révélateur. Je sentais que je devais faire quelque chose par rapport à cette injustice-là.  C’est là que j’ai vu un collectif qui donnait une conférence de presse à la télévision et qui disait « nous on va faire une action au conseil d’arrondissement de Montréal-Nord », pour déposer cinq revendications. Quand ils ont nommé les revendications, j’étais comme « ok ben ça ça m’interpelle, ça rejoint mes valeurs »

J’ai finalement envoyé un courriel, le collectif avait le nom de Montréal-Nord Républik, ça venait tout juste de naitre. J’ai juste communiqué avec eux et c’est cette journée-là que j’ai rencontré Guillaume qui est un grand ami aujourd’hui et aussi cofondateur de Hoodstock.

D’emblée il me dit « la personne qui devait déposer les revendications au conseil de ville ne pourra pas le faire, est-ce que toi tu pourrais ? » puis moi j’avais aucune idée dans quoi je m’embarquais, « je vais le faire », puis j’étais là pour ça. Finalement on se ramasse à aller cette journée au conseil d’arrondissement pour déposer les 5 revendications.

La première revendication était la démission du maire de l’époque parce qu’on trouvait qu’il était complètement déconnecté de la réalité. La deuxième revendication était une enquête publique indépendante par rapport aux circonstances entourant la mort de Fredy, la troisième c’était la fin du profilage de toute forme d’abus policier, la quatrième revendication on demandait une œuvre à la mémoire de Fredy, puis la dernière revendication, c’est une revendication qui selon moi se réincarne beaucoup à travers ce qu’on fait aujourd’hui puis dans les projets qu’on propose et dans la mission qu’on porte c’est, reconnaitre le principe selon lequel tant qu’il y aura de l’insécurité économique, il y aura de l’insécurité sociale.

2. Hoodstock contribue à développer des communautés solidaires, inclusives et sécuritaires. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le travail de milieu et en quoi il aide à développer des communautés solidaires ?

Nancy : À Hoodstock, le Travail de milieu c’est un projet qui comporte plusieurs volets. Le volet le plus important c’est vraiment la réduction de la criminalité et de la violence. On intervient, on travaille avec des jeunes du secondaire et on essaye aussi de réduire cet aspect-là de la violence.

Cet été, on a fait de la mobilisation donc beaucoup d’activités pour aller rejoindre les jeunes, créer des liens, créer une certaine confiance pour ensuite, dans la deuxième phase de notre projet, aller plus dans l’intervention. C’est-à-dire essayer pour certains jeunes à risques, de les amener à changer leurs paradigmes et les guider vers d’autres façons de faire, d’autres façons de voir. On a toujours une idée derrière nos activités pour amener des dialogues avec les jeunes, les faire discuter, les faire réfléchir. L’idée du Travail de milieu c’est d’être dans la communauté avec les jeunes et comprendre leurs réalités pour offrir des services qui répondent à leurs besoins.

« L’idée du Travail de milieu c’est d’être dans la communauté avec les jeunes et de comprendre leurs réalités pour offrir des services qui répondent à leurs besoins.»

À propos du deuxième volet de la question, il s’agit de créer des liens entre les personnes, de développer ce sentiment d’appartenance, ce sentiment de confiance, d’entraide aussi. Le fait qu’on donne des ressources aux jeunes, qu’on permette à d’autres personnes de venir en tant que mentor·e·s, en tant qu’artistes, en tant que coparticipant·e·s à nos activités, cela leur permet d’avoir de nouveaux horizons. En même temps qu’on crée cette communauté avec eux, on leur donne aussi l’opportunité de sortir de leurs réalités, de voir autre chose, donc on est en train de cocréer un nouvel environnement qui sort des stéréotypes.

3. Concernant le projet « HoodSTOP les violences sexuelles », en quoi ce programme consiste-t-il ? Comment s’adapte-t-il aux communautés de Montréal-Nord ? En quoi est-ce important d’adapter de tels programmes aux communautés ?

Nargess : On s’est rendu compte qu’il n’y avait aucune ressource pour les personnes survivantes à Montréal-Nord, et si les personnes survivantes voulaient aller chercher un service, on savait qu’elles allaient rencontrer plusieurs défis. On a un haut pourcentage de personnes qui ont subi une agression à caractère sexuel à Montréal-Nord, on ne trouvait juste pas ça normal qu’il n’y ait pas de ressources.

Toute la question de la mobilité est un grand défi pour aller chercher une ressource à l’extérieur du quartier. Les personnes vont devoir se déplacer à l’extérieur du quartier : les ressources les plus proches pour une personne survivante qui vient de Montréal-Nord, c’est dans Hochelaga ou dans West Island. On sait que pour beaucoup d’entre elles, ce n’est pas possible de faire ces déplacements.

Un autre aspect aussi c’est qu’on se rendait compte que lorsque les personnes allaient chercher un service de soutien ou d’accompagnement à l’extérieur de Montréal-Nord, les interventions n’étaient pas adaptées. En effet, ces interventions ont malheureusement une approche parfois stéréotypée. Par exemple, au lieu que la personne se sente en sécurité dans l’intervention puis dans l’accompagnement qu’elle allait chercher, elle subissait une double violence. C’est dans ce sens que toute l’idée de « Hoodstop les violences sexuelles » est née. C’était vraiment important pour nous d’avoir une approche « culturellement sensible », adaptée aux communautés racisées et afrodescendantes. 

« C’était vraiment important pour nous d’avoir une approche « culturellement sensible », adaptée aux communautés racisées et afrodescendantes. »

Ce qui a été mis en place jusqu’ici est principalement dédié à la jeunesse. Dans un volet de prévention et de sensibilisation, on voulait également rendre accessible des programmes en éducation sexuelle qui sont culturellement adaptés, car bien qu’il existe déjà beaucoup de programmes, peu sont appliqués à Montréal-Nord et quand c’est le cas, on se rend compte que les jeunes subissent une nouvelle fois une multitude de stéréotypes. Finalement, dans une perspective d’intervention, le but ultime de « Hoodstop les violences sexuelles » c’est vraiment de mettre sur pieds une ressource d’accompagnement et de soutien pour les personnes survivantes à Montréal-Nord.

4. Pouvez-vous nous expliquer le projet Justice hoodistique ? Quelle est l’importance d’une justice réparatrice par et pour les personnes noires aujourd’hui ?    

Cassandre : Un projet de justice réparatrice par et pour les communautés noires a initialement été discuté lors du Forum social de Hoodstock, en 2016, comme étant un moyen de réduire la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice criminelle. Cette surjudiciarisation continue d’être documentée et reste un enjeu dont les effets se transmettent de génération en génération tant aux niveaux psychologique, identitaire, économique et social. Malgré le travail remarquable qui est fait sur le terrain, en termes de programmes qui s’inscrivent dans la justice réparatrice, la situation ne change pas. La Justice hoodistique permet de bonifier ce qui est fait actuellement en termes de justice réparatrice en ayant une autre approche, une approche qui tient compte des particularités que vivent les communautés noires et développée par celles qui sont confrontées à ces réalités. On est dans l’optique qu’une seule façon de faire, malgré toutes les bonnes intentions, peut créer ou renforcer des inégalités.

La Justice hoodistique est donc un projet pilote de justice réparatrice pour les membres des communautés noires, qui sont âgé·e·s entre 18 et 64 ans. Elle s’inscrit dans les programmes de déjudiciarisation déjà en place. Pour les personnes adultes, on part du programme de mesure de rechange général aussi appelé PMRG.

C’est quoi le programme de mesure de rechange général (PMRG) ?

Ce programme donne, aux adultes accusés de certaines infractions criminelles, la possibilité d’assumer la responsabilité de leurs actes et de régler le conflit qui les oppose à la justice autrement qu’en étant assujettis aux procédures judiciaires usuelles prévues par le Code criminel.

Différentes mesures de rechange peuvent être appliquées pour aider ces personnes à prendre conscience des conséquences de leurs gestes et à participer activement à la réparation des torts qu’elles ont causés. Le Programme vise également à diminuer le risque que ces personnes aient à nouveau des démêlés avec la justice.

Ce programme de justice réparatrice se veut équitable, en ce sens qu’il prend en compte les besoins des personnes victimes et accusées.

Source : https://www.justice.gouv.qc.ca/

Une des particularités du projet est qu’on offre des retraites de guérison aux personnes participantes afin qu’elles suivent différents ateliers afrocentriques comme le Kasàlà. Le Kasàlà est une pratique qui existe en Afrique subsaharienne et qui propose d’aborder plusieurs thématiques telles que le vécu d’une personne, son sentiment d’appartenance sous différentes formes d’art que ce soit à travers la poésie, l’écriture ou autres.

Il y a également l’atelier sur l’histoire des Noir·e·s qui est offert durant ces retraites, le but étant d’avoir une nouvelle approche, une approche qui diffère de ce qu’on enseigne dans les écoles.  On a tendance à aborder l’histoire des Noir·e·s sous les angles de l’esclavage et du colonialisme en mettant de côté les contributions des civilisations africaines au développement des sociétés actuelles. Cet atelier a également pour objectif que les personnes participantes se réapproprient leur histoire tout en construisant ou renforçant le sentiment d’appartenance.

Toujours dans l’optique de valoriser la reconstruction de soi, le projet comprend un atelier sur l’estime de soi et d’introspection. Il permet aux personnes de déterminer la nature de leurs passions, leurs objectifs de vie, et d’établir avec elles un plan d’avenir, puis de voir quelles sont les barrières qui les empêchent de croire en ces aspirations-là.

Dans le cadre du projet, la personne doit compléter une mesure qui est décidée par elle, la personne victime et leur cercle social respectif, si celle-ci désire s’impliquer.

Cela peut être une séance de médiation entre la personne accusée et la victime : cela peut être un dédommagement financier, un service à la collectivité, ou des services des mentorats, c’est-à-dire le jumelage d’une personne participante avec un·e membre des communautés noires qui évolue dans un domaine qui l’intéresse ou la passionne. On a également rajouté des suivis psychosociaux familiaux lorsqu’il est déterminé que ce sont des enjeux avec la famille qui ont mené, bien qu’indirectement, à la commission du délit.  Il y a alors un suivi psychosocial avec un·e professionnel·le qui connait les enjeux des communautés noires. D’ailleurs, celle-ci suit la personne participante et la personne victime tout au long du projet.

En gros, le projet vise entre autres la réduction de la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice, la réparation des torts causés, mais également la reconstruction de soi. On aimerait que la Justice hoodistique soit également offerte pour les jeunes de 12-17 ans.

5. Le thème de l’édition de notre magazine cette année est « se donner la parole », en quoi cela résonne-t-il avec le travail de Hoodstock ?

Nargess : Hoodstock est né à partir des forums sociaux, où l’idée était de démocratiser la parole justement donc ça fait vraiment parti de notre ADN, de notre fondement même. L’idée, c’était de se réapproprier la parole car elle nous est trop souvent confisquée, de créer des espaces de dialogues, des espaces sécuritaires, dans lesquels les personnes allaient pouvoir reprendre la parole, reprendre le pouvoir aussi. Je dirais même que la majorité des projets de Hoodstock se font en co-construction avec la population, car on voit souvent des projets qui ne sont pas adaptés, qui ne répondent pas concrètement aux réalités du terrain et de la population. On part d’une idée parce qu’on vient nous-mêmes de ces communautés marginalisées-là. Certain-e-s habitent le quartier aussi, donc on sait très bien quels sont les besoins. Ensuite, on élabore nos projets au travers de séances de consultation avec la population.

« L’idée, c’était de se réapproprier la parole car elle nous est trop souvent confisquée, de créer des espaces de dialogue, des espaces sécuritaires, dans lesquels les personnes allaient pouvoir reprendre la parole, reprendre le pouvoir aussi. »

On fait aussi beaucoup de consultations avec des partenaires qu’on peut considérer comme des experts sur certaines questions spécifiques. On peut avoir une expertise, mais qui n’est pas complètement aiguisée. Alors, on va aussi chercher des conseils, des avis, pour pouvoir le plus possible adapter nos projets. Pour moi, c’est aussi une façon de faire participer, puis d’ouvrir cet espace de parole pour que les gens puissent se réapproprier ces projets.

Pour plus d’informations sur Hoodstock, visitez le site Web: https://www.hoodstock.ca/

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