Créer un changement positif à travers l’art
Entrevue avec Tina Struthers
Par Catherine Bérubé | 05 août 2021
Le multiculturalisme, la diversité et l’inclusion font partie des sujets de prédilection de Tina Struthers, artiste en art visuel et textile. Ses œuvres sont inspirées, entre autres, de son pays d’origine, l’Afrique du Sud, mais aussi de son immigration au Canada il y a de cela 13 ans. Elle a participé à de nombreux projets artistiques aux niveaux local, national et international. Par exemple, au Québec, le projet de médiation culturelle intitulé « Je suis » dans la ville de Vaudreuil-Dorion a réuni plusieurs artistes phares, dont Madame Struthers, pour créer des œuvres collectives visant à rapprocher les différentes communautés et à lutter contre les préjugés. Dans le cadre du Magazine 404, elle nous explique comment l’art peut créer des liens, des questionnements et des rencontres impromptues pour aller au-delà de la haine.
Parlez-nous de votre parcours et de votre démarche artistique ?
Je suis une artiste en art visuel et textile, originaire de l’Afrique du Sud. J’ai immigré au Canada en 2008, mais je vis au Québec depuis 2011. En tant qu’artiste immigrante, je suis tombée dans le système de francisation dès le début. J’ai toujours eu un grand intérêt pour les besoins des autres. J’essaie de briser les différentes barrières entre les individus : les langages, les cultures et les origines, les religions, etc. Ces barrières peuvent parfois créer un malaise entre les individus. Je suis très chanceuse, parce que dans la communauté de Vaudreuil-Dorion où je me suis installée, il y a le projet « Je suis » chapeauté par Michel Vallée, le directeur du Service des loisirs et de la culture à la Ville de Vaudreuil-Dorion. L’idée est de créer l’ouverture, l’intégration et la rencontre dans la communauté. J’ai été très chanceuse parce que c’était une période où les programmes et les projets de médiation culturelle étaient en développement. J’ai commencé avec de petits projets et, depuis, j’ai mené plus de soixante projets dans la région de Montréal. J’ai également un parcours d’artiste professionnelle en art textile. Je tiens de nombreuses expositions et je suis souvent sélectionnée en art textile contemporain à l’international. J’ai reçu plusieurs bourses du Conseil des arts et des lettres du Québec et du Conseil des arts du Canada en recherche et création. Je pense que c’est vraiment important de s’impliquer dans la communauté et de créer des ponts entre les artistes et les citoyens, mais aussi entre les individus. À la base de tout ça, je crois qu’une création commune entre deux individus aide à briser les barrières par le biais d’une conversation naturelle. L’ouverture à autrui réduit la peur et, par conséquent, le risque de ressentir de la haine.
« L’ouverture à autrui réduit la peur et, par conséquent, le risque de ressentir de la haine. »
Dans le cadre de la deuxième édition du Magazine 404, nous avons choisi la thématique : « Au-delà de la haine ». Comment cette thématique fait – elle écho à vos travaux et en quoi votre démarche artistique s’inscrit-elle dans un mouvement de mobilisation sociale et de lutte contre la haine ?
Pour mon art communautaire, je choisis toujours les thématiques ou les sujets qui unifient. C’est très intéressant dans ma démarche personnelle, car lors des interactions que j’ai avec les citoyens, ils me racontent toutes sortes d’histoires. Souvent, dans ces moments privilégiés de confiance, les gens me content de terribles histoires. Dans mes œuvres personnelles, je réagis sur les situations et les sujets plus violents, ainsi que sur le fait qu’on devient moins tolérant face aux violences et aux actes haineux. Je réalise que dans mes projets sociaux et communautaires, je n’agis pas dans un sens concret ou conscient pour combattre la haine, mais j’essaie de créer des baumes d’amour. Je ne me vois pas comme une militante contre la haine, mais je pense que si on veut combattre la haine, il faut créer un moment accrocheur pour le public. Créer un moment où, par exemple, tu fais asseoir une femme musulmane à côté d’une femme chrétienne qui ne se croiseraient pas nécessairement en temps normal. Dans cet instant de partage et d’ouverture, on apprend qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur, qu’elles ont les mêmes rêves pour leurs enfants et les mêmes inquiétudes.
Quelles sont les réflexions et les réactions suscitées par vos œuvres ?
Cela dépend du type de projet et du type d’œuvre. J’ai fait des petits projets avec des groupes ciblés. Je les ai suivis pendant plusieurs séances ou plusieurs mois pour créer un changement chez les individus. Il y a aussi parfois des projets d’art public de grande envergure et ceux-ci permettent de créer un attachement à la communauté ou aux lieux. J’essaie de créer une identité communautaire qui soit accrocheuse dans les souvenirs partagés. Je trouve qu’il n’y a rien de mieux que l’art public produit de manière participative. Cela crée une espèce de fierté et un sentiment d’appartenance. Ce sentiment d’appartenance ou d’inclusion est très important, car lorsqu’on se sent exclu de la société, on peut se sentir victimisé et cela peut nourrir la haine. Il est indispensable d’éviter cela.
Selon vous, quels ont été les impacts de la pandémie sur la mobilisation sociale à travers l’art ?
La pandémie a eu un gros impact sur les projets sociaux et interactifs. Plusieurs projets ont été arrêtés ou reportés. Néanmoins, la pandémie a fait naître plusieurs projets intéressants. Du côté de la participation, c’était dur, mais on s’est adaptés en menant les activités et les ateliers virtuellement. On a présenté des ateliers d’art et de création et on a eu des conversations sur les arts contemporains. On essayait de créer des rendez-vous chaque semaine pour les individus qui étaient coincés chez eux. Ceux-ci ont vraiment apprécié l’expérience. Avoir cet échange leur a permis d’oublier les inquiétudes et le stress de la pandémie. Pour les artistes visuels, c’était une période difficile, mais on a soudainement eu une opportunité d’avoir accès à des expositions partout dans le monde, car les conférences d’artistes ont été rendues accessibles grâce à Zoom.
Quelles peuvent être les conséquences du sentiment d’exclusion sur la notion du vivre-ensemble et qu’est-ce que l’art peut apporter à cette problématique ?
L’art, à travers les projets sociaux, permet d’aller chercher les publics vulnérables, fragiles ou exclus. J’ai été chanceuse d’avoir travaillé avec des ados ayant des handicaps physiques ou mentaux, ou encore, des groupes marginalisés. De plus, j’adore collaborer avec les immigrants en francisation, car ceux-ci se sentent exclus et marginalisés par rapport à la langue. Beaucoup de personnes ne sont pas assez ouvertes et curieuses pour aborder ces sujets. On est naturellement curieux, mais on a été conditionnés à enterrer cette curiosité pour ne pas être impolis. Pourtant, il est super important de développer cette curiosité tout en faisant preuve de respect, car celle-ci permet d’atténuer les questions, les craintes et les distances entre les individus qui sont marginalisés.
En tant qu’artiste, quel rôle jouez-vous pour faire évoluer les mentalités et mettre fin à cette haine ?
Pour moi, c’est important d’utiliser le pouvoir de l’art pour essayer de créer un changement. Il ne faut jamais sous-estimer l’intelligence du public ou celle du spectateur. Je préfère créer un espace de réflexion pour le spectateur et attiser la curiosité. J’essaie d’être un peu une instigatrice, dans le sens où je parle parfois de sujets lourds sans forcer mon opinion. Je veux que le spectateur puisse se questionner lui-même pour laisser une trace plus positive sur la planète.
Que pensez-vous de la communauté artistique actuelle du Québec ? Y a-t-il des changements à apporter pour en faire un milieu plus inclusif ?
Toujours, et pas juste au Québec. En tant que femme immigrante qui travaille avec le textile, cela n’a pas été facile d’être prise au sérieux dans le domaine des arts. Tout de suite, quand tu fais des œuvres d’art public et que tu arrives avec des idées assez différentes, tu dois être organisée pour être prise au sérieux. C’est difficile d’être comprise comme une artiste. C’est important de parler, d’expliquer et d’être patiente. Au Québec, on est chanceux d’avoir le Conseil des arts et des lettres, qui propose des projets très novateurs et très intéressants en soutien aux artistes. Il y a aussi plusieurs organismes à Montréal, et je trouve que c’est de plus en plus inclusif. Ça permet aux citoyens et aux artistes de profiter d’une voix visuelle très diversifiée. Mais il y a toujours du travail à faire. Il y a toujours des préconceptions et des notions archaïques contre lesquelles on doit se battre. Il y a une façon de créer un changement plus durable qui ne passe pas par la violence, mais qui tourne autour du respect de l’autre et de ses opinions.
« Pour moi, c’est important d’utiliser le pouvoir de l’art pour essayer de créer un changement. »
En terminant, quel message souhaitez-vous que les gens retiennent de votre art ?
Qu’il faut questionner nos réalités et pas juste les accepter. Il faut être le changement pour créer l’avenir dont on a besoin.
Pour plus d’informations sur ses différents projets artistiques, visitez le site Web : https://tinastruthers.com/bio