Le Système RESO a le don de connecter

Entrevue avec Alain Vigneault

Par Raphaël Scali | 19 juillet 2021

Le jour où Alain Vigneault décida d’organiser un tournoi de billard afin d’aider plusieurs personnes dans le besoin, il ne se doutait guère que, quelques années plus tard, cet événement aurait une influence insoupçonnée sur sa vie.

Le tout s’est déroulé au début des années 90, lorsqu’il travaillait dans un organisme communautaire de la région de Thetford Mines. Faute de moyens humains et financiers, l’intervenant social devait sans cesse trouver de nouvelles astuces afin d’aider la communauté. Un jour, se trouvant seul dans le local de l’organisme – là où une table de billard trônait – Alain eut une idée soudaine : éloigner les gens de la toxicomanie en leur proposant une activité inattendue.

« Je me suis dit, si les gens jouent au billard, ils ne sont pas en train de consommer. » Déjà à cette époque, Alain avait l’intuition que c’était la bonne chose à faire. « Je me souviens, je me suis retrouvé seul, pendant de longues heures, devant la table de billard. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée d’aller chercher des commanditaires et d’organiser un tournoi pour les gens qui se piquent, qui fument ou qui sont seuls dans les parcs », raconte-t-il. Sa passion pour la réinsertion sociale n’était encore qu’à ses balbutiements.

« La réinsertion sociale, c’est contribuer au rétablissement des liens entre une personne et sa société (ou sa micro-société) »

Il faut comprendre que l’idée du tournoi venait d’une intuition toute simple, celle d’offrir une certaine liberté à celles et ceux souffrant de dépendance. Ainsi, lors de l’événement, les participants étaient libres de retourner ou non à leur consommation, sauf si, bien sûr, ces derniers se trouvaient à l’intérieur du local. Cette règle favorisait donc un meilleur comportement dans l’établissement, tout en créant des liens significatifs, explique l’intervenant.

L’expertise du Système RESO

Quelques années plus tard, cette idée permis de jeter les fondements d’une formation désormais réputée dans le milieu de la réinsertion sociale. Après un passage formateur au ministère de la Santé et des études spécialisées en psychothérapie, « j’ai bâti toute ma philosophie et mon approche, et j’ai créé ce qu’on appelle aujourd’hui le Système RESO ».

En plus d’être un outil d’évaluation, le Système RESO s’est construit autour d’un vocabulaire unique et d’une « philosophie » d’intervention spécifique ». Afin de bien comprendre cet outil, il faut aussi être en mesure d’en discerner les fonctionnements, souligne-t-il. « Pour moi, c’était important de développer une façon d’approcher la réinsertion sociale. »

Dès lors, cette formation est devenue un incontournable dans le milieu. En effet, des milliers de personnes ont bénéficié du Système RESO au fil du temps, explique Alain. « Depuis 1996, je dois avoir donné […] cette formation plus de 500 fois. Je l’ai donnée tous azimuts. » Jamais le travailleur social n’aurait pu s’imaginer un aussi grand succès au début de sa carrière. Cet outil d’intervention est désormais utilisé et enseigné dans différents domaines : en psychoéducation, conseil d’orientation, psychologie ou encore psychiatrie sociale. Un grand nombre d’organisations québécoises en réinsertion sociale ont adopté son approche, et son usage s’étend également en Europe. Notons que la formation est désormais offerte en anglais, de sorte que le Système RESO est également enseigné partout au Canada. « L’un de mes derniers rêves, ça serait que quelqu’un au doctorat, peut-être en service social ou dans un autre domaine, étudie l’impact du Système RESO. Moi, je pense que ça va arriver un jour. Verrai-je cela de mon vivant ? Je ne sais pas ! », dit-il en riant.

L’origine du terme RESO vient de insertion Sociale

Le Système RESO est un outil d’évaluation et un modèle d’intervention.

Plusieurs organisations l’utilisent, notamment :
Le Service correctionnel du Canada, le Réseau des carrefours jeunesse-emploi du Québec, ainsi qu’un grand nombre de maisons de transition et de centres en santé mentale.

La formation a été donnée plus de 500 fois, partout au Canada. Le Système RESO est même utilisé en Europe, dans certains centres de réinsertion.

Se connecter à la bienveillance

Même si on sait que la réinsertion sociale est un défi immense pour ceux et celles qui tentent de (ré)intégrer la société, on oublie parfois que les intervenant.e.s aussi peuvent être confrontés à certains achoppements durant leur carrière. Justement, pour être à même d’instaurer son approche et sa « philosophie » d’intervention, Alain a préféré choisir la bienveillance plutôt que la haine. Faut-il donc savoir identifier la haine qui nous habite avant de pouvoir aider les autres ?

Aller au-delà de la haine « en essayant de ne pas la condamner ou de la juger, tout en priorisant plutôt la bienveillance. »

Selon lui, oui, car la colère est une partie intégrante de l’expérience humaine. Ainsi, tout un chacun est capable à la fois de colère et de bonté, puisque nous sommes des êtres tiraillés, admet-il. « La haine, je n’essaie pas de la condamner ou de la juger. Je n’essaie pas de la qualifier comme bonne ou mauvaise. Parce que si je me mets à la qualifier comme ça, je vais réprimer une partie de ma personne. »

C’est ce tiraillement que l’intervenant a décidé d’affronter au cours de sa vie afin de se prendre en main et de mieux faire son travail. En effet, si la haine peut surgir plus facilement chez les gens dans le besoin, elle a aussi pu se manifester chez Alain, dans les débuts de sa carrière. « Toute ma vie, pour des motifs très personnels, j’ai été souvent habité par la colère. Puis, à un moment donné, j’ai décidé que je ne voulais plus emprunter ce chemin-là. », confie-t-il avec émotion.

C’est grâce à la méditation qu’il a réussi à mieux gérer sa colère. « J’ai décidé d’affronter la colère, la haine et la violence par plusieurs techniques méditatives et aujourd’hui je suis heureux. Pendant mes études de neurosciences, j’ai appris que pour dix minutes de haine ou de violence […], notre niveau de cortisol augmente et ça prend sept heures avant de retrouver un équilibre. Je n’ai pas les moyens de me payer ça. En tout cas, je n’ai pas les moyens de gaspiller autant d’heures de ma vie. », ajoute-t-il.

Une influence de haut niveau

Outre sa passion en réinsertion sociale, Alain Vigneault a développé un autre champ d’expertise fort captivant : l’optimisation de la préparation mentale, notamment chez les sportifs de haut niveau. Ce domaine lui a permis d’accompagner de multiples athlètes professionnels, et ce, jusqu’aux Jeux olympiques ; événement qu’il a décidé exceptionnellement d’éviter cette année en raison de la situation sanitaire. 

Même s’il concède que la préparation mentale est un outil avantageux pour l’intervention sociale, il reste mitigé sur les perceptions qu’ont certaines personnes à l’égard de son travail dans le domaine sportif, le sentiment de performance excessive étant souvent montré du doigt. Voilà pourquoi Alain tient à préciser que les stratégies pour aider quelqu’un qui est en difficulté ou qui se trouve parmi les meilleurs de sa discipline sont différentes, certes, mais « l’objectif reste le même ».

« Lorsque j’aide quelqu’un en toxico ou en santé mentale, je vais l’aider à activer ou à reconnaître certaines stratégies de préparation mentale. C’est la même chose avec un jeune enfant qui n’a pas confiance ou un athlète de haut niveau qui vit la Coupe Stanley ou les Olympiques […]. Pour moi, la performance, ce n’est pas une médaille. La performance, c’est atteindre quelque chose. »

Après toutes ces années, quel champ d’expertise préfère-t-il ? Les deux, dit-il sans hésiter, même si aider son prochain lui tient plus à cœur. Il avoue que ce n’est pas forcément le fait d’accompagner les sportifs « qui le fait tripper. » L’important pour Alain est d’aider son prochain et de ne pas juger la souffrance de celles et ceux qui sont celles et ceux qui sont soutenu.es. Dans le cadre de son travail, c’est « d’abord et avant tout une personne devant moi, qui veut atteindre un objectif et qui souffre. Et ça, quand on parle de souffrance, de détresse ou d’objectif… Je suis là ! C’est ma mission de vie. Il n’y a pas d’autre chose. Aider mon prochain… Si je n’ai pas ça, je manque d’oxygène ! », explique-t-il avec passion.

Encore du chemin à faire 

Il va sans dire que le Système RESO a beaucoup évolué depuis ses origines, mais pour Alain Vigneault, tout n’est pas encore terminé. La société se doit d’être beaucoup plus inclusive et tolérante vis-à-vis des gens ayant des problèmes de consommation ou vivant l’itinérance, souligne-t-il. « Il y a encore trop de gens qui sont loin de pouvoir renouer avec la société. Selon moi, nos programmes de société sont très peu avancés et adaptés pour les personnes vivant depuis très longtemps dans l’isolement. Il y a encore beaucoup de chemin à faire […] afin d’aider les personnes qui vivent l’exclusion sociale. »

Même chose en ce qui a trait à la marginalisation, poursuit Alain. À son avis, les intervenants sociaux ne doivent en aucun cas juger prématurément ce qui est marginal ou ce qui ne correspond pas aux croyances populaires. « La marginalisation est bien vue, là où on la voit. Pour moi, ça n’a pas d’importance. À l’âge que j’ai, que ce soit les cheveux, les tatouages, les piercings dans le visage ou encore l’habillement, ça n’a plus d’impact. C’est ce qu’on a en dessous des cheveux qui est important. C’est ce qu’on retrouve à la hauteur du cerveau ou du cœur qui importe […] »

« Il y a encore trop de gens qui sont loin de pouvoir renouer avec la société… »

Sur ces sages paroles, tout ce qu’on souhaite à Alain Vigneault, c’est de pouvoir continuer à exercer sa passion pendant encore de nombreuses années.

Pour plus d’informations sur le Système RESO, visitez le site Web : http://www.alainvigneault.com/reinsertion-sociale.html



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