Le sens de ma voix, de la haine à l’amour, de la noirceur à la lumière
Je suis un ancien skinhead de 42 ans qui a toujours dans le passé craché ma haine et ma propagande raciste haut et fort avec ma voix et mes actions. Mais voilà qu’après 20 ans de travail sur mon passé douloureux, mon enfance difficile, ma personnalité, j’ai décidé de changer, changer ma voix pour faire un discours différent. De mettre mon bagage de vie à profit pour aider mon prochain, de mettre de l’avant l’empathie, le respect, la bienveillance, et que mes paroles servent à faire le bien plutôt que de cracher ma haine. Voici mon histoire.
Comment faire pour réparer des décennies de violence, de haine, de victimes innocentes ? C’est dur de voir la réalité en face, de voir tout le mal que j’ai fait autour de moi toutes ces années. Que j’ai profité de ma souffrance pour justifier mes paroles et mes actes et m’enfoncer dans mon idéologie, mes croyances. J’endoctrinais certaines personnes à mon idéologie, je profitais de ma facilité de parole pour faire croire aux autres que le racisme et la haine des autres étaient la bonne chose à faire et à promouvoir. En plus de mes propres actions, j’entraine les autres à en faire autant. Dire aux autres que le racisme, la haine est la bonne chose, dire que de faire du mal est bien, où pouvais-je donc avoir la tête et le cœur à ce moment de ma vie, aujourd’hui que j’y pense, les larmes me viennent toutes seules, tant de personnes ont souffert à cause de ma voix.
Voilà que mes paroles et mes gestes disgracieux m’ont conduit en prison, la violence engendre la violence, la haine ne peut qu’attirer la haine ,et surtout, les crimes que j’ai commis devaient être punis sévèrement pour que ma folie s’arrête. Au début, mes premières années, j’ai continué à cracher ma haine en prison, à me faire tatouer encore plus mes convictions, à entrainer les autres dans ma violence, dans ma philosophie raciste, de gang.
Un jour, une psychologue a pris le temps avec moi, et je ne veux pas dire une semaine, mon suivi avec elle a duré 3 ans et ça a pris 1 an avant que je parle de mes souffrances subies en étant jeune, ça a pris 1 an avant que je m’ouvre un peu et que ça déclenche quelque chose en moi. Elle croyait en moi, ce que moi je ne croyais pas. Elle m’écoutait, j’avais besoin d’évacuer la souffrance intérieure, ensevelie en dessous des couches de sable d’année en année. Cette fois-là, j’ai pris ma voix pour moi, le vrai moi, j’ai parlé de mes souffrances, de mes peurs, de mon anxiété et elle m’a écouté, a écouté mes besoins, m’a laissé pleurer de toutes mes souffrances, ce que personne n’avait fait pour moi avant. À partir de ce moment-là, une brèche s’est faite sur ce que je croyais, ce que je voulais, ce que je ressentais.
Cette brèche a semé un doute en moi sur mon idéologie et mon racisme. Après quelques années de travail continu sur moi avec des psys, voilà qu’un ami d’avant que je sois skinhead a refait surface en prison où que je sois ; c’est un Haïtien, un métalleux qui adore Slayer (le groupe de musique) et avec qui je renoue immédiatement d’amitié, en pensant que cette amitié est encore vraie aujourd’hui. Cette amitié a fait tomber les dernières barrières dans ma tête et mon cœur et tranquillement, ma voix change pour ma voix à moi, le vrai moi, et ça fait du bien. Avec tout ça j’ai décidé de méditer, d’apprendre la philosophie bouddhiste pour m’aider à évacuer et me garder « groundé » avec moi. Du coup, j’ai décidé de vouloir faire partie de justice réparatrice, de voir l’envers de la médaille de mes gestes et mes paroles, de voir les souffrances en vrai que j’ai pu infliger. J’ai laissé la parole à des victimes, pas mes victimes, mais c’est la même chose, et j’ai décidé de faire un face-à-face avec une victime ; ce processus se fait accompagner de justice réparatrice. J’ai laissé la parole à cette victime, sa voix résonne toujours en moi, cette rencontre a été très bénéfique pour nous deux.
Grâce à mon avocate, j’ai rencontré le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) et cela a été une révélation, je veux que ma vie et mon passé servent à quelque chose, à aider les autres à ne pas faire la même erreur que moi. J’ai commencé à parler aux jeunes en difficulté dans des écoles secondaires, à parler à des jeunes au Cégep du danger de la haine et de la violence. J’ai même fait une conférence pour une première, une communauté face à un agresseur (moi), une rencontre des plus inspirantes pour moi et pour cette communauté musulmane. Il y avait moi face à une centaine de personnes qui ont été extraordinaires avec moi, même si elles savaient que la personne devant elles était un ancien skinhead raciste qui avait commis des actes violents envers leur communauté. Ces personnes, qui m’ont écouté sans jugement, sans haine et qui ont compris ma nouvelle voix, ce que je faisais et ce que j’essayais de réparer un peu. Je sais très bien que je ne peux réparer le passé, mais je peux faire en sorte que l’avenir soit plus beau et si une personne a compris mon message et qui ne faisait pas les mêmes erreurs que moi, j’aurais empêché des victimes de souffrir.
Il faut écouter les jeunes, prendre le temps de leur donner une voix. Une personne qui souffre peut faire souffrir les autres en retour. Ne repoussez pas les personnes qui changent et qui se radicalisent, supportez-les, écoutez-les, laissez leur voix s’exprimer, trouvez le pourquoi, qu’est-ce qui fait qu’elles souffrent. Aujourd’hui, ma voix sert le bien, ce n’est pas toujours rose tous les jours, mais je persévère et je ne m’abandonnerais plus jamais à cette haine, ma voix est plus forte et plus solide que jamais. Merci de m’avoir lu et compris.
Juin 2022
Fou du Roy