« Se regarder d’humain à humain et non pas d’étiquette à étiquette. »
-Estelle Drouvin […]
L’équipe derrière 404 mag est allée à la rencontre de la coordinatrice du Centre de services de justice réparatrice (CSJR), Estelle Drouvin. Juriste de formation, spécialisée dans le domaine des droits de la personne, ancienne secrétaire générale de la Fédération internationale de l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), elle est coordinatrice au CSJR depuis 2009.

Elle qui consacre ses efforts à la promotion d’une pratique pleine d’avenir et d’espoir nous a ouvert sa porte pour témoigner de son expérience et répondre à nos questions concernant la justice réparatrice.
Nous vous voyons venir, chers lecteurs et lectrices. Qu’est-ce qu’on entend par justice réparatrice ? Beaucoup de questionnements jaillissent et plusieurs aprioris par rapport à cette démarche apparaissent. Essayons ensemble d’en apprendre davantage sur celle-ci. Comment a-t-elle pu réellement changer la vie des gens ?
Avant l’entrevue : nos aprioris par rapport à la justice réparatrice
Notre entrevue
Quelle est la mission et quels sont les services offerts par CSJR ?
Le CSJR crée des espaces d’expression, d’écoute et de partage entre des personnes touchées par des situations d’abus et de violences, judiciarisées ou non judiciarisées. De plus, le CSJR accompagne des groupes et des personnes dans des rencontres de justice réparatrice, offre du soutien par des ateliers, sensibilise la collectivité et suscite la participation citoyenne à la justice réparatrice dans un but de paix sociale.

Quels sont les éléments de la justice réparatrice qui en font une bonne alternative face aux autres mesures du système judiciaire ?
Je définis toujours la justice répartitrice en disant que c’est un moyen de retrouver la confiance qu’on soit victime, auteur de crime, ou l’entourage de ces personnes. Pourtant, la confiance, c’est le point de départ pour créer une harmonie sociale, donc si cet élément n’est plus présent et que l’on commence à être dans la peur et s’isoler, c’est là où se trouve le danger. La justice réparatrice agit à ce niveau-là en ouvrant un espace de confiance où les personnes vont pouvoir communiquer tout ce qu’elles ont sur le cœur. On parle de positive vomiting, soit comment vomir tout ce qui me gruge en moi de manière positive pour m’en libérer.
Lors de nos ateliers, par le fait de s’assoir en cercle, on s’assure que tout le monde est à égalité en garantissant qu’il n’y a pas une personne qui va écraser l’autre dans le processus. Cette démarche agit ainsi sur l’estime de soi, la reprise du pouvoir d’agir du côté des victimes et sur la responsabilisation, la reconnaissance et l’impact de leurs gestes et l’humilité du côté des détenus. Ceci permet de se regarder d’humain à humain et non pas d’étiquette à étiquette. Et une fois que le cœur s’ouvre et qu’on reconnait l’autre comme étant à la fois différent de soi et semblable à soi, c’est à ce moment-là que la rencontre transforme les personnes et que les liens de confiance se retissent. C’est une sorte de guérison sociale qui s’opère. On ne parle pas de réconciliation […], mais on est de l’ordre de retisser des liens.

En quoi la sensibilisation est-elle importante dans le processus de réinsertion sociale des personnes judiciarisées ou des personnes victimes d’un crime ou de violence ?
La sensibilisation du public est au cœur de la mission du CSJR. On parle aujourd’hui de réintégration sociale et communautaire2. Il est important non seulement d’accompagner les personnes touchées par un crime (victimes3 et auteurs), mais aussi de sensibiliser la société pour diminuer préjugés et indifférence et ainsi créer un environnement social informé et ouvert.
On veut changer les mentalités, on veut que les gens se rendent compte qu’ils sont également concernés et qu’en tant que citoyen, quand un geste de violence est posé, on est aussi concerné. On va à la fois travailler la sensibilisation au niveau des futurs professionnels, donc dans les collèges et les universités, et au niveau du grand public. C’est un continuum, car dans la sensibilisation, c’est aussi des anciens participants qui témoignent et ça leur redonne leur pouvoir d’agir.
On ne parle plus vraiment de réinsertion sociale, mais plus de réintégration sociocommunautaire, parce que c’est dans les deux sens que ça se joue. La réinsertion ne dépend pas uniquement des personnes touchées, mais aussi de la société puisqu’elle doit ouvrir les portes.
Quelle est, selon vous, la portée des récits et des témoignages dans le processus de sensibilisation ?
Cela a toujours beaucoup d’impact, une histoire de vie fait toute la différence car la personne te confie une partie de son histoire […], ce qui a été le plus terrible comme le plus réparateur et te parle de tout son cheminement. En outre, les personnes qui décident de témoigner de leur vécu demandent à le faire, car elles veulent aider d’autres à se mettre en mouvement à leur tour et prévenir de nouvelles violences.
À titre d’exemple, le CSJR a facilité une rencontre entre un détenu, un ancien skinhead qui n’était pas incarcéré pour des crimes haineux, et une communauté musulmane qui était ouverte, dans l’objectif de sa démarche de justice réparatrice. Ceci leur a permis de comprendre la violence qui était présente dans la jeunesse de cette personne, pour en arriver à regarder au-delà des premiers jugements posés. Puis, cette personne a pu expliquer son histoire, son parcours de radicalisation et comment elle s’en est sortie. Autant des deux parties, ceci leur permet de devenir une source d’inspiration, de changement.
Chacun mérite une deuxième chance ? Pourquoi la société doit-elle donner une deuxième chance à tous ?
Nous sommes témoins au CSJR de la transformation des personnes. Certaines ont parfois commis des gestes horribles, mais après des années de cheminement, sont aujourd’hui devenues des personnes inspirantes qui s’impliquent dans la société au service des autres et qui mettent d’autres personnes en mouvement. Nous sommes des humains et nous sommes tous amenés à faire des erreurs ! Toutefois, il y a des erreurs qui sont malheureusement irréversibles et qui ont des conséquences dramatiques ! Certains choisissent de s’enfermer dans la violence et la haine. Nous utilisons alors notre liberté pour creuser notre tombe, et celle des autres.
Je pense profondément que les personnes qui ont traversé une épreuve et qui arrivent à s’en sortir sont un atout pour la société. Elles peuvent devenir de très bons aidants empathiques, capables d’accueillir les autres sans jugement. D’où l’importance de rappeler à la société qu’elle a son rôle à jouer pour redonner des chances aux personnes, tout en s’assurant de la sécurité et du bien-être de tous.
On ne parle pas de deuxième chance, mais simplement de donner une chance, que ce soit la deuxième, troisième ou quatrième. Il faut que les personnes aient espoir que si elles se relèvent, elles pourront de nouveau être accueillies dans la communauté.

Quelle est la puissance de l’art dans la réinsertion de ces personnes dans la société ?
Dès le départ, on a intégré la dimension artistique dans nos rencontres, les personnes pouvaient aussi s’exprimer par des objets, des dessins ou des collages, par exemple. D’autres services font aussi appel à la dimension artistique. Depuis plusieurs années déjà, le CSJR a signé une entente avec le Musée des beaux-arts de Montréal et des ateliers d’art-thérapie sont offerts gratuitement aux personnes ayant été victimes de violences ou d’actes criminels.
Ces ateliers d’art-thérapie constituent un moment fort et significatif, mais aussi une prise de conscience d’éléments parfois plus inconscients. Alors que les personnes victimes de violence ou d’actes criminels n’arrivent pas toujours à mettre des mots sur leurs souffrances, l’art constitue pour elles un moment libérateur. Deux des conséquences ayant été repérées par l’implication de l’art dans le travail du CSJR furent que les individus développent un désir de créer pour continuer à s’exprimer, et certains sont menés à vouloir s’engager de façon prosociale dans la société.
Aller voir plus loin : Sur la justice réparatrice4
1 CSJR (2020). Site web. Repéré de https://csjr.org/faq-fr/ (consulté le 19 juin 2020).
2 Henry, D. (2017). La (ré) intégration sociale et communautaire : Un nouveau concept pour mieux se (re) définir. Compte-rendu du forum de l’ASRSQ tenu les 28 et 29 octobre 2014 à Drummondville sur la (ré)intégration sociale et communautaire des personnes contrevenantes. Repéré de https://asrsq.ca/revue-porte-ouverte/reintegration-sociale-communautaire/nouveau-concept (consulté le 19 juin 2020).
3 Le mot victime est nommé au sens large incluant l’entourage de personnes qui ont commis des crimes haineux.
4 La justice réparatrice et les victimes d’actes criminels. Récupéré de https://www.cicc-iccc.org/files/prod/publication_files/CRC_2002_N37.pdf
European Forum for Restorative Justice (EFRJ). (2017). Effectiveness of restorative justice practices. An overview of empirical research on restorative justice practices in Europe. En ligne. Récupéré de https://www.euforumrj.org/sites/default/files/2019-11/a.2.7.-effectiveness-of-restorative-justice-practices-2017-efrj.pdf
Rossi, C. et Cario, R. (2016). Les bienfaits de la justice restaurative. Thyma. En ligne. Récupéré de http://www.thyma.fr/les-bienfaits-de-la-justice-restaurative/
Service correctionnel Canada. (2019). Possibilités de justice réparatrice Services de médiation entre la victime et le délinquant 2017-2018, Résultats correctionnels des rencontre en personne. En ligne. Récupéré de https://www.csc-scc.gc.ca/justice-reparatrice/003005-1003-fr.shtml
Quand justice réparatrice et vivre-ensemble se rencontrent. Récupéré de https://cjf.qc.ca/vivre-ensemble se rencontrent. Récupéré de https://cfj.qc.ca/vivre-ensemble/webzine/article/quand-justice-reparatrice-et-vivre-ensemble-se-rencontrent-2/
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